Depuis le célèbre “mulot” de Jacques Chirac en 1996, variante sans doute champêtre de la souris ou le pataquès de François Hollande à propos du commerce en ligne, on a compris que les français entretenaient un rapport singulier et méfiant à la chose informatique. Surtout au plus haut niveau.
Le problème, c’est qu’entre la réticence des élites à traiter le sujet en se pinçant le nez et sa fulgurante évolution, on a créé ce qu’il faut bien appeler un nouveau traumatisme à une échelle insoupçonnée. Pensez à ce que la répulsion aux mathématiques a provoqué de façon irrémédiable dans l’esprit de millions de collégiens à travers les âges et vous avez une petite idée du drame qui se joue dans l’esprit de millions de français aujourd’hui.
La chance qu’on a avec les maths, c’est qu’on peut arrêter leur fréquentation assez tôt. Pour l’informatique, c’est presque mission impossible. Au contraire, c’est un envahissement croissant.
Une situation inquiétante
Si votre collègue râle souvent parce que son ordinateur “plante tout le temps”, ou que son logiciel “ne marche pas” alors que le votre – pourtant identique en tout point – n’a pas ce problème, vous pouvez prêter attention.
S’il ou elle prend un temps infini pour mettre en page un simple document ou n’ose pas cliquer sur un lien sous des prétextes divers, vous pouvez prêter attention.
Si vous le/la voyez persister à ranger chaque mail reçu dans autant de dossiers que de contacts, vous pouvez prêter attention.
S’il/elle préfère prendre des notes sur son carnet sous prétexte que “j’aime le contact avec le papier”, vous pouvez prêter attention.
Si son desktop est truffé d’icônes et de documents jetés à la diable, si chaque lien ouvre une nouvelle fenêtre, si vous le ou la voyez chercher un document en fermant chaque fenêtre, espérant le voir surgir à tout moment, vous pouvez prêter attention : il/elle est probablement atteint(e) de ce mal si répandu dont les pouvoirs publics – pourtant si prompts à dégainer le principe de précaution – feignent d’ignorer les conséquences, j’ai nommé le complexe d’infériorité numérique (CIN en Français, DIC en anglais, pour Digital Inferiority Complex). Et ce n’est pas la montée en puissance du Big Data qui va détendre l’atmosphère.
Le complexe d’infériorité numérique
Si vous avez du mal avec un logiciel, c’est compréhensible : vous en avez besoin, vous mettez en oeuvre toutes vos ressources cognitives, vous vous faites assister par un tuto ou un ami le cas échéant et vous allez finir par y arriver.
La situation est tout autre si l’ouverture du logiciel (ou même de votre ordinateur) vous remplit d’un sentiment allant du malaise à l’angoisse. Là, vous n’êtes plus capable de mobiliser vos facultés et votre esprit se couvre d’un voile opaque. Vous n’osez même pas plus quoi demander à un ami : on va encore se moquer de vous. Vous vous détournez de l’objet et vous pensez : “je suis nul en informatique”. Paf : le complexe d’infériorité numérique est en oeuvre.
Cela n’est d’ailleurs pas nécessairement corrélé à votre niveau de connaissance, comme en témoigne cet épisode célèbre de la défunte émission Strip Tease qui montre 3 personnes essayant de démarrer leur ordinateur. Les compères n’y connaissent strictement rien mais ils conservent leurs capacités de réflexion et tentent par tous les moyens d’y arriver.
Ce que vos collègues complexés pensent tout bas
Alors que vous naviguez sur internet tout en maniant des raccourcis claviers sans honte, votre collègue complexé pense à peu près ceci :
- “J’ai peur de tout faire planter ou de tout effacer”
- “J’ai toujours peur de me tromper : on va encore se moquer de moi”
- “L’ancien logiciel, je m’y étais habitué, mais là, je n’y comprends plus rien. Comment je vais faire ?
- “Je n’ose pas demander parce que ça dérangerait tout le temps”
- “Elle est où, la touche qui revient en arrière”
- “Controle V” pour coller ? C’est laquelle, la touche “contrôle” ?
- “J’écris tout ce qu’il me dit sur mon carnet, je recopierai plus tard : c’est plus sûr”
Des conséquences terribles
Au-delà du sentiment de mal être qui habite le complexé, les conséquences pour l’entreprise sont terribles : pierre d’achoppement de nombreux projets de transformation numérique, l’humain est au coeur du sujet. Et le complexé peut, à lui seul, faire capoter le projet.
Les entreprises le savent, les DSI font ce qu’ils peuvent pour simplifier leurs logiciels, les éditeurs comprennent eux aussi. Mais il faut reconnaitre qu’on est globalement assez loin des efforts qu’a fait Apple le jour où Steve Jobs a décidé de lancer un smartphone qui n’aurait AUCUN mode d’emploi. Le succès fulgurant de l’iPhone est aussi dû au fait qu’il permet aux « complexés » d’utiliser la machine sans difficulté majeure.
C’est quoi, un complexe ?
Si la formation au numérique est utile et nécessaire, elle n’efface ni le complexe ni ses conséquences : si vous êtes complexés par votre long nez, ce n’est pas une formation sur les différents types de beauté qui vous le fera aimer.
Car un complexe puise ses racines beaucoup plus profondément et s’installe durablement dans le temps. Il se construit par petites étapes, petits échecs qui rencontrent d’autres échecs et les agrègent jusqu’au fameux “je suis nul”, signe clair d’une faible estime de soi (voir le cas des maths).
Sans être psychologue, on devine qu’il faut soigner le mal par la racine et non par la tige. C’est sur cette faible estime de son soi numérique qu’on doit travailler, non uniquement sur la correction des symptômes.
La formation n’est pas suffisante
Aujourd’hui, pour lutter contre ce syndrome, le seul outil reste la formation. Mais cette réponse n’est pas adaptée : vous voulez réellement former des équipes à ce qu’ils détestent ? A ce qui handicape leur vie professionnelle depuis tant d’années ? Merci. No way. Chacun préfèrera continuer à esquiver et à solliciter son voisin de bureau.
Une autre stratégie est possible, elle passe par l’acceptation par chacun de ce complexe et par la prise en compte de l’histoire de chacun avec la chose informatique. Elle passe par une action joyeuse de dédramatisation.
Ce que nous proposons
Chez BigLove, nous travaillons en équipe mixte comprenant des psychologues et des formateurs afin de prendre en compte les éléments profonds qui sont à la source de ce complexe si répandu. Nous le répétons : l’entreprise est un organisme vivant, elle doit être traitée comme tel.