Quel écolier étiez-vous ? Drôle de question à se poser alors que vous jonglez entre le boulot sur la table de la cuisine, les gosses à gérer, les courses à faire et le lavage des innombrables masques (à 30°ou 60° ?). Notre collaboratrice Laurence, psychologue clinicienne et consultante pour BigLove assure pourtant que la réponse à cette question est primordiale pour comprendre sa relation au télétravail. Fermez les yeux une minute et souvenez-vous… Chaque soir après l’école, vos parents qui ne cessaient de vous harceler de faire vos devoirs et vous qui aviez toujours mieux à faire, bricoler des legos ou jouer à la poupée. En l’absence d’instit’ sur le dos et de vos copains de classe, le sens du et des devoirs vous échappait. A moins que vous n’apparteniez à la catégorie des « bons élèves » qui jamais n’oubliaient de rédiger leur rédaction ou l’exercice de math ?
Bref, étiez-vous un enfant plutôt autonome ou pas ?
La psychologie aux avant-postes
Dans les années 1960, un psychosociologue, Douglas McGregor («The Human Side of Enterprise») élabore une méthode. Selon lui, la plupart des entreprises applique la «Théorie X » qui affirme que l’individu moyen n’aime pas travailler et qu’il faudrait donc le contraindre, voire le menacer pour qu’il s’exécute. Comme avec les enfants récalcitrants à faire leurs devoirs. Et comme à l’école, il en résulte un cercle vicieux : confrontés à des règles strictes et à des contrôles sévères, les salariés travaillent le moins possible. Ils fuient le risque car il n’est pas récompensé et les performances restent moyennes.
Douglas McGregor préconisait d’appliquer plutôt la «théorie Y», qui suppose, pour sa part, des relations reposant sur la confiance, la délégation et l’autocontrôle, avec des collaborateurs qui s’impliquent et prennent des initiatives. On connaît depuis les bienfaits de la méthode mais s’applique-t-elle de la même manière en situation de télétravail généralisé ? Que nous apporte de positif le télétravail ?
Autonomie ou dépendance ?
Dans l’idéal, la réponse serait : plus de liberté et plus d’autonomie. Autrement dit, il est temps de tuer le cancre qui sommeille en nous ! Passons rapidement sur la liberté, que les chantres de la flexibilité ont abondamment ressassé à l’ère pré-pandémique, et qui ressort plus aujourd’hui du mythe que de la réalité. Sauf bien sûr si vous avez une piscine, un manoir et des miles en abondance pour pondre des rapports aux Seychelles plutôt qu’à Noisy-le-Sec. Non, le vrai sujet aujourd’hui est celui de l’autonomie.
Selon la définition du Larousse, l’autonomie consiste en « la possibilité de décider, pour un individu, sans en référer à un pouvoir central, à une hiérarchie, à une autorité. » Les racines grecques du mot nous le confirment : autos signifie soi-même et nomos, la loi ou règle. Un télétravailleur qui peine à trouver son équilibre se retrouve dans une situation infantilisante, c’est-à-dire de dépendance vis-à-vis de la hiérarchie. Or, l’idée est de profiter de l’occasion pour grandir en autonomie, qualité considérée comme un levier d’efficacité et de compétitivité des entreprises. Mais comment évaluer l’autonomie ?
Evaluer l’autonomie, une compétence sociale
L’autonomie n’est pas l’expertise technique. Certains experts s’avèrent plutôt dépendants tandis que des néophytes sauront prendre des initiatives pertinentes. L’autonomie est en fait une compétence sociale qui pousse les uns à prendre des risques et à trouver des solutions tandis que d’autres se contentent d’appliquer scrupuleusement les procédures et sollicitent collègues ou hiérarchie avant toute décision.
Il existe différents outils pour permettre à des managers de situer le niveau d’autonomie de leurs collaborateurs à partir de comportements typiques relevant de paramètres objectifs (la fréquence et la nature des sollicitations, la capacité à transgresser intelligemment les règles, à proposer des axes d’amélioration ou d’innovation…); ou de paramètres subjectifs, liés à des éventuels besoins d’être rassurés, des perceptions du risque ou des enjeux liées à l’adaptation des règles et au sentiment de responsabilité qui doit en principe accompagner les pratiques d’autonomie.
Mais attention : « l’autonomie ne s’impose pas à ses collaborateurs contre leur volonté, au risque de générer des problèmes psychiques (stress, adaptation, opposition, efforts permanents) », rappelle Laurence Bois-Farinaud.
« Du moment que tu fais ton travail… »
Si on ne peut imposer l’autonomie, il faut donc inciter les télé-travailleurs à y trouver des avantages. Deux anciennes DRH du groupe de distribution américain Best Buy ont ainsi inventé le concept de ROWE, pour Results Only Work Environment (environnement de travail orienté résultats). Il repose sur une idée simple : l’important est que le travail soit fait. Aux collaborateurs de décider comment y parvenir. Elémentaire, mon cher Watson ! Mais cela suppose que les managers n’imposent ni leur méthode ni leur rythme. En utilisant, par exemple, un langage non contraignant qui favorise l’autonomie plutôt que l’obéissance. Aux verbes «devoir» ou « falloir », préférez « réfléchir » ou « envisager ».
C’est un début.
Et l’autonomie à distance ?
Mais comment gérer l’autonomie à distance ? L’absence de contacts directs signe-t-elle la mort du lien social en entreprise ? Le fait que l’instauration massive du télétravail s’impose dans le contexte d’une crise sanitaire majeure fait bouger les lignes. En mettant tout le monde en position de risques (sanitaires mais aussi psychologiques et économiques), la hiérarchie des priorités est repensée et peut-être remet-elle justement l’humain au centre du jeu.
Paradoxalement, le travail à distance semble créer une plus grande porosité entre vie privée et vie professionnelle. A travers l’écran, on rentre malgré soi dans l’intimité de ses collaborateurs, en apercevant une partie de leur bibliothèque ou en entendant les pleurs d’un bébé. La notion de hiérarchie y est aussi moins flagrante en terme de ressenti spatio-temporel. La certitude de ne plus se croiser « par hasard » dans les couloirs oblige à programmer plus de rencontres, d’autant que chacun est conscient des problèmes de solitude pour certains ou du « pétage de plomb » pour d’autres.
Un nouveau point de vue
Le « facteur humain » redevient essentiel. Et c’est une bonne nouvelle ! Le télétravail n’est pas la fin du travail, ou de l’idée que l’on s’en fait. Il nous offre une chance extraordinaire d’acquérir plus d’autonomie et de « gagner » plus que de « perdre ».
Donnons-nous une seconde chance de faire nos devoirs…et que l’instituteur nous laisse cette fois faire à notre manière !